Dans l’article concernant les mâles d’abeilles, nous avions évoqué les congrégations de mâles, voici plus de détail sur le sujet.
Les faux bourdons matures quittent leur ruche durant les après-midis ensoleillés pour rejoindre ces congrégations. Ils utilisent des phéromones pour attirer les reines vierges et se repèrent visuellement grâce à leurs grands yeux qui leur permettent de mieux détecter les reines. Lorsque la météo est pluvieuse, lorsqu’il fait froid, ou le matin, les mâles restent dans les ruches.
L’importance des DCA pour la diversité génétique

Les reines vierges, âgées de 6 à 8 jours, rejoignent les congrégations pour s’accoupler avec plusieurs mâles (environ une quinzaine dans nos régions). Cet accouplement multiple est essentiel pour assurer la diversité génétique de la colonie.
Les fécondations de reines ne se passent pas très bien les années où la météo est maussade pendant de nombreuses journées de la saison de reproduction. Génétiquement, les congrégations de mâles jouent un rôle crucial dans la reproduction des abeilles en permettant un brassage génétique. Les mâles d’une même colonie ne s’accouplent généralement pas avec les reines de leur propre colonie, ce qui réduit le risque de consanguinité.
Une congrégation de mâles est un groupement des mâles de la région proche. En effet, les mâles présents dans une DCA proviennent majoritairement de colonies situées dans un rayon de 3 à 7 kilomètres. Cette proximité géographique influence la composition génétique des congrégations et, par conséquent, celle des colonies d’abeilles de la région. On observe aussi des mâles provenant de colonies plus lointaines en proportions plus faible dans les prélèvements effectués dans les congrégations.
Les conservatoires d’abeilles utilisent les DCA pour suivre la diversité génétique des populations locales. Connaître les zones de congrégation permet de mieux comprendre les dynamiques reproductives et d’estimer les risques d’introgression génétique.
Ces congrégations sont donc essentielles pour la reproduction et la diversité génétique des abeilles, et leur étude est importante pour la conservation des populations d’abeilles locales.
La découverte des zones de congrégation de faux bourdons (DCA) est attribuée à plusieurs chercheurs qui ont étudié le comportement de reproduction des abeilles. Parmi les pionniers dans ce domaine, on peut citer Jean-Louis Jeanne qui a décrit les DCA dans les années 1980. Ses travaux ont mis en lumière les rassemblements de mâles en des lieux spécifiques pour l’accouplement avec les reines vierges. Ces découvertes ont été fondamentales pour comprendre les dynamiques reproductives des abeilles et la manière dont elles assurent la diversité génétique au sein des colonies.
Les zones de congrégation de mâles sont un phénomène fascinant et leur repérage par les faux-bourdons est encore partiellement mystérieux, mais on en sait de plus en plus.
Comment les mâles d’abeilles trouvent une DCA ?
Les mâles ne passent pas l’hiver dans les colonies d’abeilles, les ouvrières les éjectent de la ruche et ils meurent de faim et de froid dehors.
Alors comment, d’une année sur l’autre, les mâles savent où aller ?
Et comment, si on déplace les colonies, les mâles trouvent une nouvelle congrégation à rejoindre ?
Autant de questions pour lesquelles nous n’avons pas de réponse.
On a cependant quelques pistes :
- Les mâles d’abeilles n’ont jamais été dans une DCA avant, mais ils savent instinctivement qu’ils doivent s’y rendre après environ 6 à 8 jours de vie.
- Lors de leur premier vol de repérage, ils sortent, volent autour de la ruche, puis s’élèvent progressivement… jusqu’à tomber « par hasard » dans une zone favorable, qui peut devenir leur DCA. Ils sont guidés par le paysage, ils utilisent des repères topographiques.
- Les DCA sont toujours aux mêmes endroits chaque année, ce qui suggère un rôle des repères naturels comme des clairières dans une forêt, des vallons encaissés, des lignes entre des haies ou des bosquets, des petites cuvettes ou des passages entre des collines. Les mâles repèrent ces zones grâce à des indices visuels (contrastes, lignes d’horizon) et peut-être aussi des signaux de vent ou thermiques. Les abeilles, bien qu’elles ne voient pas comme nous, sont très sensibles aux contrastes et à l’orientation.
- Il semble que les mâles soient attirés les uns par les autres, ou du moins stimulés par la présence d’autres drones en vol. Il y a une attraction mutuelle entre mâles. Cela expliquerait pourquoi les DCA s’auto-renforcent : plus il y a de mâles, plus les nouveaux arrivants s’y arrêtent. Pourtant, les mâles ne produisent pas de phéromone d’agrégation connue pour créer ou maintenir une DCA. Mais certains chercheurs suggèrent que des composés cuticulaires ou des signaux faibles pourraient jouer un rôle dans la stimulation mutuelle des vols et la stabilité du groupe une fois qu’il est formé.
Mais ce n’est pas encore bien compris ni démontré clairement.
De leur côté, les reines vierges doivent aussi trouver ces zones, on se pose les mêmes questions.
Quand elle passe dans une DCA, les mâles la détectent immédiatement et la poursuivent. Une reine vierge en vol dégage une phéromone sexuelle très puissante (9-ODA notamment), perceptible à plusieurs dizaines de mètres.
Mais ce n’est pas la reine qui crée la DCA ! Elle ne fait que visiter une zone déjà occupée par les mâles.
Les Phéromones sexuelles de la reine vierge seraient le déclencheur de la course. La reine produit un cocktail de composés volatils, principalement le 9-ODA ou acide 9-oxo-2-décénoïque.
Son rôle principal : attirer les mâles en vol depuis plusieurs dizaines de mètres. Cette phéromone très puissante, est détectable à très faible concentration. C’est le signal déclencheur de la poursuite lors du vol nuptial. Cette phéromone est aussi impliquée dans la répression de l’ovogenèse chez les ouvrières après l’accouplement. Le bouquet phéromonal de la reine contient d’autres composants comme le 9-HDA ou acide 9-hydroxy-2-décénoïque, le HOB ou 4-hydroxy-3-méthoxyphényléthanol, et l’ HVA, l’acide homovanillique. Ces composés modulent l’effet du 9-ODA et peuvent aider à la reconnaissance spécifique. Ce cocktail est produit par la glande mandibulaire de la reine vierge.
Outils modernes pour étudier les DCA


Les chercheurs ont utilisé des méthodes modernes de type (radios, radar, GPS) comme des radars à balayage, des balises RFID sur abeilles et même des caméras thermiques pour repérer les DCA et suivre les trajectoires des mâles.
Les résultats de ces recherches montrent que les DCA sont souvent entre 10 et 40 m d’altitude. Elles sont situées entre 200 et 500 m des ruches, parfois plus loin, et surtout, elles sont très stables dans le temps, même si quelques colonies meurent, la DCA reste là l’année suivante !
Quelques exemples concrets de zones de congrégation de mâles ont été identifiés en France et en Italie, comme au Conservatoire de l’Abeille Noire d’Île-de-France (CANIF). Une DCA a été identifiée au sein de ce conservatoire dédié à la préservation de l’abeille noire (Apis mellifera mellifera).
Des études génétiques ont montré que les colonies du conservatoire et les mâles présents dans la DCA présentaient des profils génétiques stables, avec un faible niveau d’introgression des populations environnantes. De même, aux alentours de Toulouse, en Occitanie, des apiculteurs ont signalé des zones de congrégation dans des clairières entourées de haies, où les mâles se rassemblent régulièrement pendant la saison de reproduction. En Italie, proche de Bologne, en Émilie-Romagne, des chercheurs ont identifié des DCA situées dans des vallées protégées du vent, où les mâles se regroupent pour attendre les reines vierges. Dans la région de la Plaine du Pô, au nord de l’Italie., des DCA ont été observées dans des zones ouvertes entourées de rangées d’arbres, offrant des conditions idéales pour la formation de ces zones de congrégation.
Les caractéristiques de ces exemples concrets sont une topographie de type zones ouvertes entourées de barrières naturelles telles que des haies, des arbres ou des collines, offrant à la fois visibilité et protection contre le vent.
Une grande stabilité : ces zones restent généralement stables d’une année sur l’autre, les mâles y revenant instinctivement chaque saison. La distance de ces DCA par rapport aux ruchers connus et étudiés des alentours, varie entre 500 mètres et 5 kilomètres.
Les DCA et la fécondation dirigée par les apiculteurs


Les principes de fécondation dirigées par des apiculteurs éleveurs d’abeilles suivent ces connaissances sur les DCA pour créer un ou plusieurs ruchers de fécondation.
Les éleveurs d’abeilles apportent d’une part, leurs « ruches à mâles », c’est-à-dire les colonies qui semblent inintéressantes génétiquement pour produire des mâles, (ils ont bien sûr pris soin de mettre des cadres à mâles, pourvus de gros alvéoles en début de saison de reproduction) dans un endroit isolé, une île, une vallée… Et d’autre part, leur nuclei de fécondation, qui sont de petites colonies contenant une reine vierge que les éleveurs ont aussi sélectionnées et les chances statistiques pour que les fécondations « naturelles » soient quand même des fécondations dirigées sont hautement plus fortes.
Si on prend du recul, il n’y a pas que les abeilles mâles qui se regroupent pour attendre une femelle. Ce comportement, qu’on appelle parfois « lek » (emprunté à l’éthologie des oiseaux), existe aussi chez plusieurs insectes — parfois de manière assez spectaculaire.
Beaucoup d’espèces de moustiques (ex. Aedes, Culex) forment de grands essaims de mâles en vol, souvent à la tombée du jour. Ces essaims se forment au-dessus de repères fixes (rocher, buisson, route, silhouette sombre). Les femelles fécondables entrent dans l’essaim où un mâle la repère grâce au battement de ses ailes (fréquence sonore !) et tente de s’accoupler. Il existe une analogie avec les DCA des abeilles, mais à plus petite échelle. Les mâles d’éphémères (Ephemeroptera) forment parfois des essaims aériens très denses, juste au-dessus de l’eau. Ils attendent que les femelles émergent de l’eau ou arrivent en vol. Chez certaines espèces, les mâles meurent immédiatement après l’accouplement (un peu comme les faux-bourdons d’ailleurs !).
Les mâles de certains diptères non piqueurs (comme les mouches de la St. Marc – Bibio marci) volent en groupe lentement au printemps, souvent suspendus dans l’air. Ces nuages de mâles flottants attendent que les femelles passent à proximité. D’autres insectes font des « lek acoustique », ce n’est pas un vol mais un rassemblement sonore comme certaines cigales ou criquets. Les mâles se regroupent, chantent ensemble pour augmenter leurs chances d’attirer les femelles. Les femelles choisissent leur partenaire en se déplaçant vers le « meilleur » son ou rythme.
Chez Bee Planète, nous protégeons les abeilles locales en préservant les zones de congrégation, essentielles à la diversité génétique.