Dans notre précédent article, on a vu que les oiseaux indicateurs attirent l’attention des humains en vocalisant et en guidant vers les ruches d’abeilles sauvages. Une fois le miel récolté, les humains laissent les larves et la cire comme récompense pour les oiseaux. Mais il existe d’autres relations complexes et mutualistes entre les humains et les animaux, comparables à celle des humains avec les oiseaux indicateurs et les abeilles. Ces interactions se basent sur des comportements de collaboration ou d’exploitation mutuelle et illustrent des exemples fascinants de coévolution culturelle et biologique. Voici un premier exemple. On peut établir un parallèle intéressant entre les truies utilisées pour la recherche de truffes et les oiseaux indicateurs (Indicatoridae) pour le miel. Bien qu’ils appartiennent à des catégories biologiques et géographiques très différentes, ces relations présentent des similarités notables dans leur fonctionnement et leur nature.
Cochons truffiers et récolte de truffes
En Europe, on peut citer comme interactions de mutualisme Homme/Animal l’utilisation de cochons truffiers. Les cochons, notamment les truies, sont utilisés pour localiser des truffes enfouies dans le sol, grâce à leur odorat extrêmement développé. En échange, elles reçoivent des récompenses alimentaires. Bien que les chiens soient de plus en plus utilisés aujourd’hui, les cochons étaient historiquement associés à cette pratique. Les ethnies ou groupes humains considérés sont les paysans d’Europe méridionale, notamment en France, en Italie, et en Espagne. Ces pratiques sont attestées depuis le Moyen Âge (~9e-12e siècle). La relation mutualiste est la suivante : les truies détectent les truffes grâce à leur odorat exceptionnel, attirées par l’odeur qui mime celle des phéromones sexuelles de mâles porcins.
L’humain guide et contrôle la truie, récoltant les truffes pour sa consommation ou sa vente. En récompense, la truie reçoit de la nourriture ou des caresses pour éviter qu’elle ne mange la truffe. Dans les deux cas, des oiseaux indicateurs et des cochons truffiers, les humains tirent parti d’un comportement naturel. Les truies sont instinctivement attirées par l’odeur des truffes, qui stimulent leur instinct reproducteur. Les indicateurs cherchent activement des colonies d’abeilles pour leur propre consommation de cire et de larves. Ces comportements, déjà présents dans la nature, ont été exploités par l’humain à son avantage. Il faut le bon environnement et la bonne collaboration. La relation truie et truffes est ancrée dans les régions tempérées d’Europe, où les truffes poussent sous les racines de certains arbres (chênes, noisetiers). La relation indicateurs et miel est spécifique aux régions d’Afrique tropicale, où les indicateurs vivent dans des environnements riches en abeilles sauvages.
Dans les deux cas, la collaboration dépend de la connaissance humaine de l’environnement et du comportement animal. Les truies truffières sont un savoir-faire européen ancien, documenté depuis le Moyen Âge (au 9ème siècle environ). L’interaction avec les indicateurs est une tradition africaine transmise oralement parmi des peuples comme les Hadza ou les Yao, datant de plusieurs millénaires. Il y a quand même quelques différences : les truies sont domestiquées, tandis que les indicateurs sont des oiseaux sauvages. La nature de la récompense est aussi différente : les truies agissent pour une récompense immédiate donnée par l’humain (nourriture, protection), alors que les indicateurs obtiennent directement leur récompense (larves et cire) sans intervention humaine. En conclusion, les deux relations montrent comment l’humain s’intègre dans des dynamiques animales pour tirer parti de ressources naturelles. Cependant, elles illustrent aussi des différences culturelles et écologiques : les truies truffières reflètent une domestication et une agriculture structurée dans des écosystèmes européens. Les indicateurs traduisent une interaction plus sauvage et opportuniste, ancrée dans les écosystèmes tropicaux africains. Ces parallèles mettent en lumière la diversité des relations entre humains et animaux, influencées par les besoins, l’environnement, et les cultures humaines.
Pollinisation dirigée et abeilles domestiques
Il y a d’autres exemples d’interactions mutualistes : Toujours avec les abeilles, on peut citer la pollinisation dirigée. Bien que la relation entre les humains et les abeilles soit souvent pour la récolte du miel, ou de la cire, elle devient mutualiste dans le cadre de la pollinisation dirigée : les humains déplacent des ruches d’abeilles domestiques pour assurer la pollinisation des cultures agricoles, tandis que les abeilles trouvent de nouvelles sources de nourriture dans les champs. Les interactions Homme/abeilles pour la récolte classique du miel et de la cire sont très anciennes (au moins 20 000 ans) attestées par la fresque d’art rupestre de Valence en Espagne. L’apiculture organisée comme on la connaît date d’environ 3000 av. J.-C. en Égypte ancienne, mais ce n’est que très récemment que les interactions pour la pollinisation dirigée se sont mises en place.
Collaboration entre dauphins et pêcheurs
Les interactions entre les dauphins et les pêcheurs (Brésil et Mauritanie), sur 2 continents différents, en Afrique et en Amérique du Sud, les dauphins locaux, Tursiops truncatus, qui sont les grands dauphins ou souffleurs, que nous pouvons aussi observer sur nos côtes, collaborent avec les pêcheurs humains pour capturer du poisson. Les dauphins poussent des bancs de poissons vers les filets des pêcheurs, signalant le moment optimal pour jeter leurs filets en faisant un plongeon caractéristique. En retour, les dauphins attrapent les poissons qui échappent aux filets. Les groupes humains ou ethniques qui participent à ces pêches sont les « Laguna », pêcheurs traditionnels de la région de la lagune de Laguna au Brésil. Et en Mauritanie, les pêcheurs Imraguen, sur les côtes de l’Atlantique, collaborent avec les dauphins pour attraper des mulets en utilisant des techniques similaires. Ces collaborations sont attestées depuis plusieurs siècles. En Mauritanie, des récits oraux suggèrent une pratique vieille de plus de 500 ans.
Loups semi-domestiqués et peuples indigènes
Les loups semi-domestiqués et les peuples indigènes d’Eurasie et d’Amérique du Nord avaient aussi une relation privilégiée mutualiste. Avant la domestication complète du chien (Canis lupus familiaris), il est probable que des populations humaines collaboraient avec des loups pour la chasse. Les loups suivaient les chasseurs pour profiter des restes des proies, tandis que les humains bénéficiaient de l’aide des loups pour localiser ou cerner le gibier. Les groupes de chasseurs-cueilleurs d’Eurasie et d’Amérique du Nord du Paléolithique supérieur devaient utiliser cette technique mutualiste avant la domestication du chien. On pense que l’interaction avec les loups pré-domestication, remonte à environ 15 000 à 30 000 ans. Les premiers chiens domestiqués associés à des populations telles que les Natoufiens au Proche-Orient remonte à 12 000 ans environ.
Dans certaines régions d’Indonésie, les pêcheurs utilisent des crabes semi-sauvages pour trouver des huîtres ou des escargots marins cachés. Les crabes sont relâchés dans les zones rocheuses et reviennent avec des morceaux d’escargots ou d’huîtres, guidant les pêcheurs vers leurs cachettes. Activité pratiquée par diverses communautés côtières indigènes, notamment en Indonésie, comme les Bugis ou les Bajau, dit nomades de la mer. On a très peu d’informations sur cette tradition peu documentée, mais probablement en place depuis plusieurs centaines d’années, elle est liée à la subsistance maritime.
Fauconnerie : une pratique millénaire
La fauconnerie, pratiquée depuis plus de 4000 ans, est une relation mutualiste entre les humains et les rapaces comme les faucons, les aigles, et les buses. Les rapaces capturent des proies, que les humains récupèrent en partie, en échange de soins, de nourriture, et de protection. Cette pratique est encore vivante dans des régions comme l’Asie centrale, le Moyen-Orient, et certaines parties de l’Europe. Les groupes humains qui utilisaient cette relation mutualiste proviennent de différents endroits, on peut citer les nomades des steppes d’Asie centrale, les Turcs et les mongols. La fauconnerie est encore très vivante au Moyen-Orient. La noblesse européenne médiévale pratiquait la chasse au faucon. On date cette interaction d’il y a environ 4000 ans en Asie centrale. Elle a été introduite en Europe au 4ème siècle après J.-C.. Actuellement, les interactions faucons aigles / hommes sont toujours utilisées activement pour chasser les petits passereaux, voir de plus gros oiseaux autour des aéroports afin de réduire les avaries potentielles causées par les collisions sur les avions.
Cormorans pêcheurs en Chine et au Japon
Les pêcheurs en Chine et au Japon utilisent des cormorans pour attraper du poisson. Un anneau est placé autour du cou de l’oiseau pour l’empêcher d’avaler de gros poissons. Les cormorans plongent, attrapent les poissons, et les rapportent au pêcheur, qui leur donne de plus petites proies en récompense. Les pêcheurs chinois qui pratique cette relation mutualiste se trouvent dans les provinces du Guangxi et du Yunnan. Les pêcheurs japonais œuvrent dans la région de Gifu, notamment sur la rivière Nagara. Ces pratiques sont vieilles de plus de 1000 ans, documentées dans les récits de la dynastie Tang (7e siècle).
Autres interactions mutualistes
Dans certaines régions en Afrique et en Amérique du Sud, les humains récoltent les graines stockées dans les nids de fourmis moissonneuses (Messor spp.). Les fourmis collectent des graines d’espèces végétales spécifiques, facilitant leur utilisation pour les populations humaines. Les groupes humains proviennent de certaines communautés indigènes d’Afrique du Nord et d’Amérique du Sud, notamment les peuples andins. La datation est difficile à établir précisément, mais probablement en place depuis l’émergence des pratiques agricoles, il y a environ 5000 ans.
Les relations mutualistes ou exploitées par les humains avec les animaux se retrouvent dans des contextes variés à travers le monde. Ces interactions montrent la capacité humaine à reconnaître et à intégrer les comportements animaux dans leurs systèmes culturels et économiques, tout en influençant les comportements des espèces animales impliquées. Les interactions entre les humains et les animaux dans des relations mutualistes ou exploitées remontent à des milliers d’années, souvent liées aux pratiques culturelles, économiques, ou de subsistance des populations. En résumé, ces interactions impliquent des peuples issus de presque tous les continents et remontent à des périodes variées, allant de la préhistoire (loups et chiens) à des traditions encore vivantes. Ces pratiques montrent comment les humains ont coévolué avec les animaux dans des environnements spécifiques, adaptant leur mode de vie pour tirer parti des ressources naturelles.